La moisson 2023 en Haute-Marne s’achève avec l’arrivée de pluies bienfaitrices. Les résultats s’avèrent très mitigés et particulièrement hétérogènes avec la remise en question, pour l’avenir, de certaines cultures. Le détail avec Tonio Pereira, technicien « productions végétales » à la Chambre d’agriculture ; un partenaire privilégié du Conseil départemental de la Haute-Marne (voir encadré). 

Quel que soit le secteur de la Haute-Marne, la moisson 2023 se caractérise par… « des rendements en paille rarement atteints ». Tonio Pereira, technicien à la Chambre d’agriculture Aube-Haute-Marne, s’en amuse mais cette donnée peu intéressante pour les agriculteurs haut-marnais symbolise bien l’année céréalière qui vient de s’écouler.

Ce rendement homogène en paille est le résultat de la climatologie de mars et avril dernier avec une pluviométrie supérieure à la moyenne (voir encadré) et de nombreuses talles sur les céréales qui ont réussi à sortir des épis. A l’inverse, les rendements en grain sont très hétérogènes et sont corollés à la profondeur de terre des parcelles cultivées.

Tonio Pereira synthétise : « les cultures avait pris de l’avance en mars et avril qu’elles ont perdues en mai et plus particulièrement dans le centre et le sud du département. Les petites terres à cailloux ont beaucoup souffert avec des épis mal remplis du fait du manque d’eau à la bonne période ». De surcroît, les températures plutôt froides de mai (3 à 4° le matin) ont été préjudiciables à la fertilité des épis.

Visuellement, le passage, d’un coup, du vert au blanc des cultures en juin était un mauvais signe qui s’est avéré une réalité lors de la moisson. Tonio Pereira décline alors les productions une à une en commençant par le colza qui a retrouvé sa place dans l’assolement haut-marnais (30 000 ha) après sa quasi disparition due à la présence de grosses altises et l’impossibilité de la combattre.

La moisson, production après production

Le technicien de la Chambre d’agriculture annonce des rendements dans une fourchette large de 15 à 40 q/ha. Ils sont pénalisés sur les terres hydromorphes alors que « le développement végétatif était prometteur pendant tout le cycle. Mais quand la moisson est arrivée, le désenchantement a été réel ». Comme pour toutes les cultures, le Poids de 1 000 grains est à la peine pour le colza du fait du manque de pluies durant la dernière période de cycle.

En blé, les rendements sont tout aussi hétérogènes en fonction de la profondeur de terre sur les parcelles. Dans le même champ, les rendements peuvent aller du simple au triple. Selon Tonio Pereira, « ils s’inscrivent dans une fourchette allant de 27 à 80 q/ha. La déception vient des terres argilo-calcaires superficielles mais aussi des terres plus profondes pour certaines variétés tardives qui ont souffert des températures froides de mai ».

En termes de qualité, le poids spécifique est généralement en dessous de la norme dans les terres à cailloux et le taux de protéines est dans la norme.

Dans les orges d’hiver, les rendements sont tout aussi hétérogènes en allant de 30 à 75 q/ha. La qualité est mise à mal. Les poids spécifiques sont faibles et le niveau de calibrage est très bas au point, pour beaucoup, de ne pas être classé en brasserie et d’être déclassé en mouture même si les grilles de classement ont été revues par les organismes stockeurs. Commentaire de Tonio Pereira : « la bière s’annonce chère pour les Jeux Olympiques de 2024. Heureusement, il nous reste les vins de de Coiffy et du Montsaugeonnais pour le passage de la flamme en Haute-Marne ». 

Les cultures de printemps en danger

Impossible de se rattraper avec les orges de printemps qui, comme attendu du fait du climat, représente une grosse déception. La fourchette annoncée du rendement va de 20 à 60 q/ha. Les 60 q se retrouvent sur de très rares parcelles. Les calibrages sont très faibles voire « jamais connus » et les taux de protéines vont au-delà des normes requises pour des orges de brasserie. Antonio Pereira le dit : « cette culture déçoit d’année en année avec le changement de climat. Son avenir en Haute-Marne interroge ».

Il a la même réflexion avec les pois de printemps pour lesquels « tout le monde s’attendait à une faible productivité quel que soit le type de sol ». Les plantes avaient, au maximum, trois étages de gousses et le niveau de production en découle avec une fourchette de 15 à 20 q/ha. Le technicien s’interroge sur le devenir du pois en Haute-Marne malgré les plans « protéines » de la PAC : « est-ce que la place des pois de printemps dans les assolements est réaliste économiquement ? »

Des espoirs pour les cultures d’été

Du côté des cultures dites d’été (tournesols, maïs, chanvre), la météo est, pour l’instant, favorable à la productivité et surtout à la qualité. En maïs, par exemple, pour les éleveurs, la production de biomasse n’est pas au rendez-vous mais « la qualité dans les silos d’ensilage sera généralement bonne voire très bonne ».

Pour les tournesols, après des débuts difficiles et des parcelles parfois semées deux fois à cause de la présence de limaces et du froid, « les rendements pourraient sauver les meubles grâce à une météo de bonne augure ». Tonio Pereira précise que la culture est à des stades très hétérogènes selon la date de semis. Les levées tardives peuvent inquiéter les agriculteurs avec des récoltes tout aussi tardives, début octobre ». Entre les semis renouvelés et peut-être l’obligation de recourir au séchage des graines, il craint que les marges économiques soient mangées.

Le soleil, une « nouvelle culture » de moisson ?    

Les résultats de cette moisson mettent en évidence, une fois encore, le réchauffement climatique. Tonio Pereira parle plutôt d’à-coups climatiques qui « demain, limiteront le choix des cultures ». Il prédit que « sur les terres à cailloux, les agriculteurs iront vers une simplification de l’assolement avec des cultures d’hiver qui prendront de plus en plus de place. De fait, ils iront à l’inverse des désirs de l’Europe ».

Il va un peu plus loin en estimant que « la seule nouvelle culture qui mérite d’être étudiée sur le territoire est le soleil ». Il suggère, de manière personnelle, de transformer une contrainte en un atout « sur les terres superficielles où la productivité et la diversification des cultures seront compliquées ». Il interroge la profession : « ne serait-il pas opportun de cultiver le soleil pour son énergie ? Cela permettrait de préserver l’environnement et la qualité de l’eau mais pour ce service rendu à la société, les agriculteurs devront vivre de cette production ».

Frédéric Thévenin

frederic.thevenin@haute-marne.fr

Une météo en deux temps

La météorologie du premier semestre 2023, du 1er janvier au 1er juillet, se caractérise par deux périodes bien différentes entre les mois de mars et avril et les autres mois. Trois exemples au nord, centre et sud Haute-Marne :

De manière générale, les six premiers mois de 2023 ont été bien arrosés mais cet arrosage est mal réparti avec une forte différenciation en mai et juin :

Le Département proche des agriculteurs

Abattoir, circuits courts, Salon de l’agriculture… le Conseil départemental de la Haute-Marne maintient son soutien à la ruralité considérée comme « une véritable richesse du territoire » par Nicolas Lacroix, le Président. Il poursuit ses réflexions pour accompagner au mieux le monde agricole dans les crises et les mutations qui l’attendent et qu’il traverse.

Le Département aide à relever les défis d’une agriculture respectueuse de l’environnement, plus justement rémunérée etplus résiliente face aux dérèglements climatiques visibles à chaque moisson.

Le partenariat avec la Chambre d’agriculture s’inscrit dans ce contexte. Pour une somme annuelle de 180 000 €, il porte sur des thématiques comme la solidarité rurale, les savoir-faire en agriculture et l’environnement dont la qualité de l’eau.